Report de la présidentielle au Sénégal : entre stupeur et condamnation, des réactions en cascade | Nor Info

Report de la présidentielle au Sénégal : entre stupeur et condamnation, des réactions en cascade

dim, 04/02/2024 - 20:00

Le président du Sénégal a annoncé samedi 3 février le report sine dine de la présidentielle du 25 février, à la suite de l’ouverture d’une enquête parlementaire visant deux juges du Conseil constitutionnel. Pour le camp présidentiel, cette décision est la seule manière de protéger la crédibilité du scrutin. L’opposition, elle, fustige une manœuvre politique permettant au président de conserver le pouvoir. Le Sénégal plongé dans l'incertitude. À quelques heures de l'ouverture de la campagne des 20 candidats en lice pour la présidentielle du 25 février, le chef d'État Macky Sall a annoncé, lors d'une allocution télévisée samedi 3 février, le report sine dine du scrutin. "Notre pays est confronté depuis quelques jours à un différend entre l'Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel, en conflit ouvert sur fond d'une supposée affaire de corruption de juges", a-t-il expliqué. Estimant que le Sénégal ne peut "se permettre une nouvelle crise" après les épisodes de violence de mars 2021 et juin 2023, le président a annoncé la mise en place d'un "dialogue national" pour "une élection libre, transparente et inclusive", réaffirmant son engagement à ne pas se porter candidat. Une annonce qui a fait l'effet d'une bombe parmi les rangs de l'opposition qui accusent le chef de l'État de vouloir se maintenir au pouvoir.

Des juges soupçonnés de corruption

Cette crise politique trouve son origine dans l'exclusion de la candidature de Karim Wade à la présidentielle. Le candidat a été écarté de la course car il était encore détenteur de la nationalité française lorsqu'il a déposé son dossier. Selon la Constitution, seuls les candidats sénégalais et uniquement sénégalais peuvent concourir. En réaction, son parti a réclamé une enquête parlementaire pour faire la lumière sur les conditions d'élimination des candidats. Les soutiens de Karim Wade disent suspecter deux juges du Conseil constitutionnel d'avoir des "connexions douteuses avec certains candidats", notamment Amadou Ba, Premier ministre et dauphin désigné de Macky Sall. Jeudi dernier, les députés ont approuvé très largement la création de cette commission d'enquête parlementaire. En parallèle, une autre candidate, Rose Wardini, dont la candidature a été validée par le Conseil constitutionnel a été placé en garde à vue pour "faux et usage de faux et escroquerie au jugement", suspectée d'avoir elle aussi la double nationalité franco-sénégalaise.

Manœuvre politicienne ?

Pour le président Macky Sall, ces éléments sont suffisamment graves pour interrompre la tenue de l'élection. "Ces conditions troubles pourraient gravement nuire à la crédibilité du scrutin en instaurant les germes d'un contentieux pré et post-électoral". Mais cette décision suscite de nombreuses interrogations au Sénégal, notamment du fait que les députés du parti au pouvoir ont eux-mêmes voté en faveur de la création de cette commission d'enquête parlementaire. Alors que ceux-ci affirment vouloir laver l'honneur de leur candidat Amadou Ba, l'opposition fustige une manœuvre destinée à torpiller la présidentielle et éviter la défaite du candidat de la majorité. "On a jamais vu au Sénégal une élection présidentielle reportée, ça, c'est le bilan de Macky Sall", a fustigé l'ancienne Première ministre Aminata Touré. "Nous, nous sommes prêts à aller à l'élection, il sait très bien que son candidat sera battu dès le premier tour", a martelé l'ancienne alliée de Macky Sall, elle-même écartée de la course à la présidentielle par le Conseil constitutionnel. Contesté dans son propre camp, le Premier ministre Amadou Ba fait face à deux candidatures dissidentes : celles de l'ancien ministre de l'Intérieur, Aly Ngouille Ndiaye, et de l'ex-Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne, un temps directeur de cabinet du chef de l'État. Mais de l'avis général, la principale menace vient surtout de Bassirou Diomaye Faye, principal candidat d'opposition, choisi par Ousmane Sonko pour le remplacer à la présidentielle, suite de l'invalidation de sa candidature. Réagissant à la décision d'interrompre l'élection, Amadou Ba, juriste et soutien de Bassirou Diomaye Faye, a fustigé des arguments "d'une légèreté inouïe" indiquant que la commission d'enquête n'a été mise en place que sur "de simples soupçons de corruption". Seydou Gaye, le porte-parole du parti au pouvoir APR, évoque au contraire "un contentieux pré-électoral très lourd", affirmant que le Conseil constitutionnel doit être "au-dessus de tout soupçon". La "transparence et la sincérité" du scrutin sont les priorités de Macky Sall, qui ne peut, selon lui, être "suspecté de vouloir garder le pouvoir, d'y demeurer ou d'être candidat".

Territoire incertain

Depuis l'annonce du président, les critiques fusent, bien au-delà de ses adversaires politiques. Le comité ad hoc de facilitation, composé de plusieurs organisations de la société civile, a condamné le report de l'élection, fustigeant "un coup d'arrêt unilatéral et brusque du processus électoral".

PAR David RICH

France 24